Texte publié dans le livre "Commérages" accompagnant l'exposition éponyme au MAC VAL. Commérages, collection "Chroniques Muséales", MAC VAL, 2015, Design Graphique : les designers anonymes IBSN : 978-916324-83-8
 

Le contre-pouvoir du commérage, Marie Preston

  

"Le conteur aime à s’identifier au colporteur. Il invente un pays « fait de paroles, d’une langue partagée, de rumeurs[1] ». L’attrait pour la parole des autres le conduit à écouter des histoires, puis à les transmettre. À force d’en entendre, tous ceux pour qui cette figure est parlante, le conteur mais pas seulement, se mettent progressivement à les collectionner, à les retravailler. Plusieurs écoles existent pour ces amateurs, ces ethnographes, sociologues, artistes, poètes, pour ces collecteurs de récits de vie. Il y a ceux qui restent au plus près de la parole entendue, qui recherchent l’intonation, le rythme et la musicalité de la langue et il y a ceux qui, craignant que ce travail ne soit vain, interprètent, traduisent. Parmi ces traducteurs, certains, seuls et sûrs de leur imaginaire, modèlent l’histoire entendue en s’éloignant à chaque pas du mouvement de la pensée du témoin, tandis que d’autres travaillent cette matière au plus près des mots de la personne qui s’est confiée, à ses côtés. On parle alors de co-écriture. Celle-ci est rendue possible par le va-et-vient partagé entre l’écoute et la parole, aller-retour où s’invente une nouvelle façon de dire.

Il ne sera pas question dans ce texte de co-écriture, mais de co-création d’œuvres. Et, plutôt que de les décrire, je m’attèlerai à expliciter le développement de l’activité commune – envisagée comme une création – qui y a mené et dont le socle a été l’écoute de récits. Ce texte sera aussi l’occasion de spécifier une pratique artistique, d’en dessiner la forme et d’en décrire les ajustements méthodiques.

 

APRÈS LE MORVAN. Il y a quatre ans, Céline Poulin qui était alors commissaire d’expositions pour le centre d’art du Parc Saint Léger à Pougues-les-Eaux, m’offrit la possibilité de venir travailler dans le Morvan, en Bourgogne. J’y découvris le collectage, le conte, l’origine de ma famille paternelle et les douze personnes[2] avec qui j’ai collaboré en vue de la co-création d’œuvres qui furent réunies dans l’exposition « Le Pommier et le Douglas ». Placée sous la double métaphore de la greffe et du rejet, cette exposition abordait la question du sentiment d’appartenance à un territoire, à une culture, à une langue par contrainte, par hasard ou après une longue filiation. Ce travail éveilla l’intérêt de Stéphanie Airaud, en charge des publics et de l’action culturelle au MAC/VAL, qui me proposa de renouveler l’expérience à Vitry-sur-Seine, en région parisienne. Or la situation ne pouvait pas simplement être déplacée, il fallait en inventer une nouvelle. D’abord, je choisis de ne pas travailler avec des personnes isolées, habitant loin les unes des autres, mais de constituer un groupe qui se réunirait régulièrement. Puis, je décidai de ne plus considérer comme un implicite le fait que la commande émanait du département de l’action culturelle d’un musée, mais également le fait que la constitution du groupe ait été en partie déterminée par des salariés de centres sociaux. Enfin, j’avançai la nécessité de rendre le développement du travail collectif visible et, simultanément, qu’il soit l’un des objets de la recherche collective[3].

Ces trois différences sont de taille et inscrivent cette nouvelle expérience dans un temps long, incluant l’enseignement de toutes les expériences précédentes de création que j’ai menées en collaboration. […]"



[1] Extrait de la performance Vieille Femme salie de Caroline Darroux, notamment présentée en 2012 et 2013 à la Maison du patrimoine oral à Anost, à l’abbaye de Corbigny et Chez Treize à Paris, dans le cadre de l’exposition « Le Pommier et le Douglas ».

[2] Marion Campay, Laurence Coudereau, Keith et Linda Dale, Caroline Darroux, Thérèse Fichot, Christine et Louis Goulois, Just et Monique Lucazeau, Madeleine Petitimbert et Régine Perruchot. J’ai rencontré ces personnes par l’intermédiaire de la Maison du patrimoine oral d’Anost et des centres sociaux de Montsauche-les-Settons, Château-Chinon et Corbigny.

[3] Des extraits du journal de travail relatif à l’expérience du Morvan ont été publiés après la série d’expositions, dans les actes du colloque Participa(c)tion, en décembre 2013. Participa(c)tion, Vitry-sur-Seine, MAC/VAL, 2014.