
Héritages et modalités des pratiques artistiques de co-création
Programme de recherche initié et mis en oeuvre par Céline Poulin et Marie Preston, en collaboration avec Stéphanie Airaud. Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (AIAC/Teamed). Musée d’art contemporain du MAC VAL à Vitry-sur-Seine. En partenariat avec la Villa Vassilieff et la Kadist Art Foundation.
. L'oralité, le parlé, des pratiques conversationnelles // Journée d'études // 21 janvier 2017 au MAC VAL avec les interventions de Marie Preston, François Deck, Devora Neumark et Sébastien Rémy.
. L'oralité, le parlé, comme modalités de co-création // Journée d'études // 4 février 2017 au CAC Brétigny // Avec les interventions de Marie Preston, Céline Poulin, Simone Frangi & Katia Schneller, Christian Nyampeta et Myriam Suchet.
. Vocales // Une exposition de Céline Poulin, Marie Preston et Stéphanie Airaud / Avec Esther Ferrer, Núria Güell, Adelita Husni-Bey, Leigh Ledare, Devora Neumark, Christian Nyampeta, Marie Preston, Sébastien Rémy, Till Roeskens, Cyril Verde / Du 04.02—23.04.17 / Centre d’art contemporain de Brétigny.
L’oralité comme modalité des pratiques de co-création
Alors que les pratiques artistiques de co-création engagées dans le champ social ont connu ces quinze dernières années un intérêt grandissant dans les pays anglo-saxons, elles ont été étrangement absentes des analyses critiques, historiques et théoriques en France pour y être devenues aujourd’hui incontournables. Au sein de ces pratiques, il nous semble important de distinguer celles relevant de la « participation créative » pour lesquelles « le visiteur fournit le contenu d’un élément de l’œuvre au sein d’une structure établie par l’artiste » (selon la terminologie proposée par Pablo Helguera dans Education for Socially Engaged Art) de celles relevant de la « participation collaborative » et qui nous intéressent en particulier. Ces dernières permettent au collaborateur, le « partage [de] la responsabilité du développement de la structure et du contenu de l’œuvre en collaboration et dans un dialogue directe avec l’artiste » (Helguera). Pour que la « participation collaborative » ou la co-création aient lieu, une indétermination initiale — dans la construction du processus, ses visées ou encore dans les modalités de rencontres — nous semble nécessaire. Tâtonner, laisser advenir les discussions, confrontations et ajustements inhérents à la création collective favorise la construction des relations et la créativité de chacun. Un ensemble de questions se posent alors sur les mécanismes de mise en oeuvre et de transmission. D’abord, l’espace de liberté engendré par le processus de co-création amène à réfléchir à la manière dont la conscientisation de notre puissance politique émerge à travers ces pratiques. Puis aux différentes relations de (ou au) pouvoir qu’inévitablement le groupe génère. Et, enfin, à la manière dont s’articulent les distinctions (ou le désir d’indistinction) entre amateurs et professionnels.
Dans ce sens, il nous paraît important de penser les pratiques de co-création en lien avec les pédagogies alternatives qui, elles aussi, dans la tradition sud-américaine initiée par Paolo Freire, les pédagogies radicales féministes américaines des années 70 et des mouvements d’éducation nouvelle et d’éducation populaire en France, se veulent des outils d’émancipation notamment par la mise en œuvre de la coopération. Enfin et par leur plasticité, nous observons que ces pratiques privilégient des formes fragmentaires. En rendant sensible la place accordée à l’autre, divers procédés donnent à voir l’hétérogénéité du collectif et, par là, permettent la coexistence de voix multiples. L’intérêt pour l’oralité apparaît être une spécificité de ces pratiques.
Ce semestre et en perspective de deux journées d’étude en janvier et février 2017, nous nous arrêterons donc en particulier sur les pratiques qui usent de la forme dialogique et ceci alternativement dans sa dimension performative et comme chemin vers la coopération et la création de relations intersubjectives. Depuis les années 70, les “conversation pieces” apparaissent comme une forme à part entière revendiquée comme art. Il en sera question, ainsi que d’autres types d’expériences de co-création pour lesquelles le dialogue (engendré ou non pas une activité) est envisagé comme initiateur à la relation et à l’élaboration d’une esquisse de trajet commun en étant soigneusement considéré et conceptualisé. Le langage vocalisé étant alors d’abord employé pour son caractère communicationnel. En dehors de la relation émetteur/récepteur, nous nous attacherons également à penser la manière dont chaque individu à la rencontre de l’Autre voit résonner en lui les voix multiples qui l’habitent. La création coopérative rend sensible cet état où chacun tente de jongler habilement avec cette multitude intérieure. Autrement dit et par la voix de l’artiste François Deck, “une compagnie nombreuse / fréquente la parole à sa source / un murmure pluriel / habite le corps individué / des spectres hantent les mots / que nous leur empruntons.” La mise en commun de ces polyphonies rendent possible de nouvelles subjectivités. Mais le langage n’est pas non plus garant d’une communication infaillible. Les artistes, les collectifs, les personnes engagées dans ces processus savent que les lieux où l’on s’arrête, nous conduisent à des rencontres inédites, où la langue, comme les gestes, doivent s’inventer, où la traduction d’une langue à l’autre, d’un imaginaire à un autre est nécessaire et une inépuisable source de création si l’on se donne simplement le temps de la considérer comme une richesse. Enfin, et puisqu’il est question d’art comme expérience, nous nous intéresserons à la manière dont le récit transmis oralement continue de présenter une alternative à l’information médiatique. Ceci dans la continuité de l’analyse que fit Walter Benjamin dans son texte Le Narrateur.
Le 5 décembre 2015 a eu lieu au MAC VAL la journée d’étude intitulée « Héritages et modalités des pratiques de co-création ». Celle-ci s’est inscrite dans la continuité des événements et édition « Micro-Séminaire » (journée d’étude et édition, Parc Saint Léger – Hors les murs) et « Participa(c)tion » (colloque international et édition, MAC VAL) traitant des problématiques liées aux pratiques collaboratives et réunissant des contributions d’historiens, d’artistes et de critiques.
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While co-creation based artistic practices that engage with the social field have been subject to a growing interest in Anglo-Saxon countries over the last 15 years, they have rarely been analyzed in France from a critical, historical or theoretical perspective until today, when they occupy a central place among these discourses. Among such practices, we would like to distinguish « creative participation » — or when « the visitor provides the content for an element of the artwork, within a structure established by the artist » (according to the definition suggested by Pablo Helguera in Education for Socially Engaged Art) from « collaborative participation », which interests us in the first place. The latter allows the collaborator to « share the responsibility for developing the structure and the content of an artwork, in collaboration and in direct dialogue with the artist » (Helguera).
« Collaborative participation » or co-creation necessitate an initial indecision — in the construction of the process, its goals or the modalities of encounter. Hesitating, allowing for discussions, confrontations and adjustments that are inherent to collective creation will stimulate the construction of relations as well as individual creativity. A set of questions regarding the production mechanisms of an artwork and its transmission thus arises. Co-creation generates a space of freedom that triggers a reflection on power relations and on the distinctions articulated between professionals and amateurs. It also allows us to acknowledge our political agency. Thus, we believe it is important to think co-creation practices in relation with alternative pedagogies: in the South-American tradition initiated by Paolo Freire as well as in people’s education movements, they too aspire to be emancipation tools, notably through cooperation. Lastly, we observe that such practices favor fragmented forms like ellipsis, montage, collage and/or assemblage. By making the place allocated to the other sensible, theses processes highlight the heterogeneity of the collective, and allow the construction of multiple voices wherever these practices rely on orality.
The research program «Legacies and modalities of co-creation practices” began on December 5, 2015 with a study day at MAC VAL contemporary art museum in Vitry. We are now developing a series of invitations in the frame of the seminar “Experience and territory: collaborative artistic practices” organized by Marie Preston at Paris 8 University. This research is situated at the crossroads between artistic, sociological and anthropological fields, just like co-creation practices operate at the junction of various disciplines.
Research program initiated and run by Céline Poulin et Marie Preston, in collaboration with Stéphanie Airaud.
University Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (Équipe Teamed). MAC VAL contemporary art museum in Vitry-sur-Seine. In partnership with Kadist Art Foundation and Villa Vassilieff.